Que nous nous soyons rencontrés ou pas, que nous ayons seulement discuté par courriels échangés, que nous n’ayons pas répondu encore à la sollicitation d’un contact intéressé par notre profil, une certitude peut rapidement nous étreindre : celle que l’autre est trop bien pour soi, que nous ne serons pas à la hauteur de ce qu’il promet, et qu’il vaut mieux s’arrêter là.
PRATIQUE POUR SE DÉFILER…
Le premier « avantage », au sens le plus inconscient du terme, de ce constat, c’est qu’il nous permet d’interrompre sur le champ ce qui s’amorce. Et dont nous ne connaissons pas l’issue. Nous ne mettrons pas en doute ce jugement – qui souvent n’est fondé sur rien de tangible mais sur beaucoup d’hypothèses – car il est préférable à l’inconnu qui s’ouvre à nous. Allons-nous nous aimer ? Nous abîmer ? Allons-nous construire ensemble ou le (la) décevoir ? Des inquiétudes auxquelles notre dévalorisation met un terme.
UNE PENSÉE ABSORBANTE
Mais avant d’être certains que nous ne sommes pas assez bien pour l’autre, la question nous a taraudés. Nous avons comparé nos cv – évidemment le sien est plus prestigieux – nos physiques – de quoi aurons-nous l’air à côté ? Il (elle) a l’air à l’aise, quand nous nous sentons si minables, si peu à la hauteur de la situation. En résumé : nous ne vivons pas l’instant, absorbé que nous sommes par ces rapprochements qui jamais ne sont en notre faveur. Nous ne sommes pas attentifs à l’autre, obsédés par ce qu’il doit penser de nous.
CE QUE L’AUTRE PERÇOIT
Et quand savons-nous, de ce que l’autre voit de nous ? Rien. Sauf si nous ne nous plaisons pas, et que notre échange reste courtois et sans suite. En ce cas, nous ne doutons pas de notre indifférence mutuelle. Mais si nous sommes séduits par cet autre – tellement trop bien pour nous ! – nous imaginons ce qu’il (elle) ressent, comment il nous perçoit, ce qui ne peut manquer de lui déplaire. Nous sommes sûrs qu’il (elle) nous pensait plus grand, plus mince, plus intelligent, et que ce qu’il a devant ses yeux forcément le déçoit.
CHACUN SA PLACE
Sauf qu’il est impossible de se regarder avec les yeux de l’autre, il est impossible de prendre sa place. Ce que l’autre perçoit est toujours partiel, subjectif, singulier. Nous nous trouvons trop enveloppé – ce que l’autre à notre avis ne peut manquer de noter – et il (elle) est troublé par notre regard qu’il(elle) n’ose pas soutenir. Nous regrettons la tenue que nous portons et que nous décrétons minable à côté de la sienne, quand il (elle) est charmé par notre voix. A l’inverse, on peut se croire irrésistible, et laisser l’autre de marbre…
UN COMPARATIF INUTILE
Ce comparatif est stérile et inutile. Il s’appuie sur un système de valeur qui n’est que le nôtre, et dans lequel l’autre, certainement, ne se reconnaîtra pas. Il n’est que le reflet de nos craintes, mais peut-être aussi du trop d’attention que nous nous portons. Une façon déguisée d’être centré sur soi, au lieu d’être tourné vers notre interlocuteur. Une manière aussi d’éviter une question autrement plus engageante : est-ce qu’il(elle) nous plaît ? Indépendamment de l’effet que nous lui faisons…